Aujourd’hui nous célébrons « la journée internationale des stagiaires ». La date choisie est le 9 novembre (9/11) soit 911 qui se dit en anglais “nine one one”, et correspondant au numéro de téléphone des urgences aux États-Unis. Quelle belle coïncidence ! Car il s’agit bien là d’une urgence à repenser ce statut, revaloriser ce passage presque « obligé », ce baptême du feu que les babyboomers n’ont que peu connu.
Disons avec clarté ce qui se trame dans les entreprises depuis les années 2000 et encore plus ces dernières années : les stagiaires représentent de la main-d’œuvre pas chère car ils payés au minimum* mais à qui il est demandé de faire le maximum : classer des archives, retranscrire un compte-rendu de réunion, aller chercher des informations auprès d’untel tout en ayant la casquette de responsable des réseaux sociaux qu’ils gèrent avec brio car ce sont des « millenials »…
Alors il faut rappeler que ce qui est facile pour certains et donc pas pour d’autres, cela s’appelle une compétence ou un savoir-faire qui se rémunère, s’échange contre quelque chose d’équivalent en valeur.
Le stagiaire doit répondre à toutes les demandes, accepter tout sans mot dire ni maudire, car il a la « chance d’être en stage ici » et il doit le faire car c’est devenu obligatoire pour valider des années d’études. Mais dans quelles conditions ?
Il doit avoir une multi-casquette car c’est ce qui est demandé aujourd’hui sur le marché de l’emploi, cumuler les métiers pour le prix d’un seul. En contrat salarié ou en contrat de stage, même exigences.
La posture du stagiaire idéal
Mais quelle est la position du stagiaire qui postule à une entreprise ?
C’est une personne apprenante, qui doit être formée pour acquérir des compétences concrètes en lien avec les théories de ces cours ou de cas d’exercices pratiques imaginés avec d’autres étudiants. Cette période de « formation » permet aussi de vivre une expérience réelle de ce que pourrait être une possibilité d’avenir.
Selon les différents stages professionnels effectués, le stagiaire pense, réfléchit, observe, questionne, projette son avenir avec ses idéaux, sa vision sur ce qu’il vit dans cette entreprise, cet environnement. C’est un futur collaborateur, partenaire ou manager. La façon dont il vit cette expérience va influencer ses choix sur son avenir professionnel. Et aujourd’hui plus qu’il y a trente ans, la nouvelle génération étudiante cherche une entreprise avec des valeurs dans laquelle elle se retrouve, avec une mission positive et à fort impact sur la planète et la société.
La réalité quotidienne
Dans les articles de presse, sites internet de recherche de stages et d’emplois (« job boards ») ou sur des publications linkedin spécial recrutement/Ressources Humaines, il est de plus en plus d’usage de lire, écrire ou partager des conseils ou bonnes pratiques pour devenir un stagiaire idéal.
Mais de qui proviennent ces conseils et bonnes pratiques ? De professionnels travaillant dans ces mêmes entreprises et qui pour certains, ne se mettent pas à la place de ces jeunes avec leurs problématiques, leur formation, leurs réalités, et les enjeux de la société qui durcit leur parcours d’études avec des loyers toujours plus élevés, le prix des courses alimentaires qui augmentent, des factures de gaz, eau et énergie qui flambent, ou la baisse de leurs allocations d’aide aux études…. A des âges où ils continuent d’apprendre qui ils sont, ce qu’ils aiment, développer leur vie émotionnelle, personnelle, familiale…Beaucoup de choses incombent sur leurs épaules. Et ils doivent se plier à des règles les contraignant à une indemnité de stage minimum qui est souvent le maximum qui leur sera donné, pour une période de quatre à six mois. Qui d’entre vous pourraient vivre avec ces sommes pendant plusieurs mois et assurer une vie minimale mais assurant ce dont vous avez besoin ?
Le budget des personnes qui se forment (à tout âge possible) ne sont pas nécessairement soutenues, aidées par leurs proches, entourages ou famille. C’est une mauvaise équation qui prend en compte des facteurs qui ne sont pas véritables pour tous. Et quand bien même elles seraient aidées pour leurs besoins primaires, il s’agit de valoriser leurs expériences et leurs personnalités.

Quelles sont les règles pour devenir le stagiaire « élu » ?
Écrire une excellente lettre de motivation ? Remercions l’administration française et la standardisation de présentation des profils. Sans parler du gâchis écologique entre les envois courriers (si cela existe encore !), les impressions et les envois par mail qui cumulent les espaces de stockage des ordinateurs de bureau comme celles des fournisseurs alors que le développement durable est LA prise de conscience du moment.
Un curriculum vitae ? Avec toutes les catégories indispensables pour anticiper les questions du recruteur. Mais est-ce juste de demander à une personne de résumer toute sa vie sur une simple feuille de papier ?
Porter une tenue idéale pour son rendez-vous répondant aux critères de l’entreprise, et donc pas à la personnalité du postulant ? Il faut entrer dans le moule mais avoir sa personnalité atypique et originale, pas trop pour ne pas faire de vague.
Être soi-même mais avec toutes les cases cochées des compétences car il doit être opérationnel (même si un stage sert à se former et donc compléter ses connaissances et développer des compétences)
Poser les bonnes questions à son « futur » employeur et avoir préparé son entretien avec tous les angles imaginables pour ne pas être piégé, et montrer que nous nous sommes préparés comme un professionnel salarié qui connait les codes et usages de l’entretien depuis dix ans.
La liste pourrait être plus longue bien sûr.
Mais avec tout cela, ne voyons-nous pas l’exigence intransigeante des employeurs qui font entrer dans des cases à tout prix des personnes motivées, inspirées et inspirantes, prêtes à s’investir et faire preuve de créativité, prise d’initiatives, devenir le candidat idéal et ce, pour une somme équivalente au revenu minimum social ?
Le choix du stagiaire
A quel moment a-t-il le choix de s’exprimer et d’être qui il est, de partager ses besoins d’apprendre, proposer ses compétences acquises et demander une rétribution juste pour sa vie personnelle qui lui permette de s’habiller selon les codes de son environnement professionnel, manger à sa faim chez soi et sur le lieu du travail qui a un coût non pris en charge, son transport, et son habitation comme beaucoup de travailleurs employés, dirigeants et recruteurs ?
Cela manque de bon sens et rien ne change. Cette situation persiste et s’empire. Retrouvez le bon sens.
Il est grand temps et nécessaire de réfléchir et d’inverser les règles qui sont poussées au plus haut sous tous les curseurs. Car côté employeur, recruteur, dirigeant.e, chef.fe d’entreprise, institution ou association, vous demandez-vous quelle posture adopter pour trouver le « stagiaire » idéal en étant le recruteur idéal ?

Devenir le recruteur idéal
- Avez-vous écrit l’annonce la plus authentique et attractive possible ?
- Offrez-vous des avantages intéressants pour que la personne qui sera embauchée en tant que stagiaire par la nature de son contrat ait envie de candidater chez vous et d’y rester plusieurs mois pour ses premiers pas dans sa carrière professionnelle** ?
- En quoi vous démarquez-vous des autres recruteurs sur le marché pour attirer cette personne idéale ?
- Mesurez-vous l’ampleur des missions et responsabilités proposées et requises pour un poste sous contrat de stage ?
- Êtes-vous réaliste entre ce que vous proposez comme missions à accomplir, la durée déterminée du stage et son niveau d’expérience ?
- Avez-vous bien conscience que la personne embauchée sous un contrat de stage est en cours d’acquisition de compétences et doit être formée par votre entreprise pour acquérir et/ou renforcer ses qualités et compétences ?
- Quel temps quotidien et hebdomadaire avez-vous déterminé pour le tutorat du futur stagiaire ?
- Quels seront ses interlocuteurs et ses référents pour toutes questions, formation et conflit s’il y en a dans l’équipe ?
- Prenez-vous en compte l’âge du stagiaire lors de son embauche avec un langage adapté, une rémunération en lien avec son parcours d’études et son parcours professionnel ?
- Avez-vous défini une grille de salaire ?
- Appliquez-vous l’indemnité de stage minimal légal ? Si oui pourquoi ? Pensez-vous que ce soit juste pour vous de payer cette somme en regard des missions demandées et des responsabilités requises ?
- Mettez-vous en place un suivi régulier pour le bien-être au travail dans votre équipe avec des tours de table de parole ouverte sur les objectifs de la semaine, les problèmes rencontrés et les conflits s’il y en a eu ?
- Quelle place donnez-vous au futur stagiaire lors des réunions d’équipe ? Sera t’il/t’elle participant à ses réunions ?
- Si non, pourquoi ? L’avez-vous précisé dans votre proposition de collaboration ?
Il s’agit bien d’un accord en commun, entre les deux parties. Et même tri-partite avec le lieu d’études (universités, écoles…).
Valoriser l’être humain
Le « stagiaire » se dit aujourd’hui, de façon banalisée comme s’il s’agissait d’un nom/surnom/étiquette.
Mais il s’agit d’une personne qui travaille sous contrat de stage à une période de sa vie, et qui sera dans quelques années ou mois, un salarié dans une entreprise, en contrat à durée [in]déterminée]. Ce n’est pas figé.
Un « stagiaire » peut déjà avoir toutes les qualités et compétences requises pour intégrer un poste en contrat salarié plutôt qu’un contrat en stage. Il est donc nécessaire de revaloriser l’image que certaines entreprises et employeurs se font du « stagiaire ». L’entreprise en recherche donc c’est qu’elle a besoin de compétences nouvelles, avec un regard neuf sur son fonctionnement avec des savoir-faire qui ne sont pas nécessairement présents dans l’équipe salariée.
Être stagiaire est un choix. Mais souvent, dans les lectures d’articles, les propositions de stage ou les retours d’expériences, il apparaît que le.la stagiaire n’est pas valorisé.e avec une place définie, importante tout comme le reste de son équipe, et avec des contreparties justes, à la hauteur de son travail fourni.
Je me suis toujours arrêtée sur cette formulation : montant minimal d’une gratification de stage. Il s’agit d’un montant minimum. Mais combien d’entreprises proposent un seuil au-delà de ce minimum ?
En tant qu’employeur/dirigeant, pensez-vous que payer une personne 500/600€ par mois pour un travail à temps plein est valorisant et juste ?
Certaines générations n’ont pas connu cette position instable d’être sous le statut de stagiaire en travaillant autant d’heures et avec de nombreuses responsabilités (parfois la place d’un autre membre d’équipe, mais ce sera l’objet d’un autre article). Imaginez vivre avec cette somme et payer un loyer, des livres et fournitures pour vos études, le transport, peut-être des factures…Qui dit stagiaire ne veut pas dire une personne qui vit sous un toit nourri logé et perçoit 500€ d’argent de poche. Et le temps mobilisé pour effectuer son stage et valider des années d’études ne permet pas la flexibilité pour exercer un autre métier ; ou alors avec des contraintes de vie personnelle qui lui incombent.
Alors réfléchissez bien lorsque vous préparez votre annonce et proposition d’offre de stage pour un profil « idéal » qui comblera vos attentes : qu’avez-vous à apporter à ce futur « stagiaire » et pensez-vous être le meilleur employeur pour lui ?
Une belle relation, c’est une relation construite à deux. Pas parce qu’il le faut mais parce que chacune des parties a donné son accord à l’autre avec des conditions définies pour les deux.
Aujourd’hui le « stagiaire » n’a d’autres choix que d’accepter celui qui lui dira « oui » pour l’embaucher. Mais ce qui apparaît, c’est qu’il n’a pas le choix de décider, exprimer si les termes du contrat ne lui conviennent pas (ampleur des responsabilités, horaires imposées, gratification minimale sans possible négociation alors qu’il s’agit d’un minimum…)
En gardant à l’esprit qu’en étant juste, vous trouverez ce que vous cherchez. Quelle expérience de vie professionnelle avez-vous envie d’offrir à vos « stagiaires » quand vous les recrutez ?
Ce sont eux qui parleront de vous dans leurs sphères privées, familiales, amicales et dans leurs futures expériences professionnelles. Ils et elles construiront votre réputation. Et la réputation d’une entreprise est primordiale pour sa réussite, son succès et inspirer des clients à nous faire confiance.
La confiance ne s‘achète pas au rabais, elle se construit, avec justesse et respect.
D’ailleurs aujourd’hui, pour répondre à cette problématique de « concurrence » pour se démarquer et se faire remarquer pour trouver un contrat en stage et valider leurs années d’études, ces jeunes se dépassent.
Une nouvelle tendance de recrutement ?
A qui sera le mieux du mieux ?
Le plus créatif ? Le plus innovant ?
Je vois sur linkedin des étudiant.e.s qui font preuve d’audace, de créativité et d’originalité pour attirer l’attention sur leur nouveau format de cv/présentation ou vidéo. Dur dur.
Il faut en arriver là pour que certains les courtisent ou les approchent pour leur proposer un entretien ? Et vous, que proposez-vous de créatif pour les intéresser sur votre entreprise?
Et ceux qui ne sont pas créatifs mais plutôt inventeur technique, ou trouveur de solutions… Quelle chance ont-ils d’attirer l’attention ? Pourtant ils ont aussi de belles qualités et des potentiels à développer. Quelle solution pour freiner cette course incessante pour être gratifié sur un parcours d’études en restant soi-même et vivre de belles expériences ? Car ces périodes en stage sont riches de rencontres, conseils, apprentissage, diversité, compétences à explorer, sortir de son cadre d’étudiant et être dans le concret.
C’est comme un enfant qui ferait ses premiers pas mais dans sa carrière professionnelle. Cela doit être un instant magique pour l’enfant et l’entourage qui le voit s’élever et marcher seul vers l’autonomie. Vous pouvez contribuer à son succès et de là naissent de belles relations.